ou la petite histoire d’un dépassement de soi lors d’un trek au Maroc
J’ai une confession à vous faire : je ne suis pas née aventurière.
Quand j’étais petite, je croyais dur comme fer que je n’étais pas capable. Pas capable de faire du vélo sans mes petites roues. Pas capable de faire mes devoirs de mathématiques. Pas capable de dormir la porte fermée. On avait beau me répéter l’adage selon lequel « Pas capable yé mort. Son petit frère s’appelle essaye. », rien n’y faisait. Je n’étais pas capable de me défaire de cette peur de l’échec qui m’habitait. Pas capable d’avoir confiance en moi.
J’ai commencé à rêver de voyages d’aventures, d’expéditions et de grands exploits à l’adolescence. Je me suis toutefois bornée à ne tenter que ce qui était facilement réalisable au regard de mes propres capacités. Les maths 436 ? Hors de question. Je préférais avoir 95% en classe 416. Les expéditions pédestres ? Trop exigeantes physiquement. J’optais plutôt pour le canot-camping.
Les années passèrent et me voilà en voyage à Marrakech, mariée à un aventurier dans l’âme. Il veut mettre les voiles le lendemain pour se lancer à l’aveuglette dans les montagnes du Haut Atlas, où il espère bien que nous réaliserons un trek d’une centaine de kilomètres. Je dis à l’aveuglette, parce que nous n’avons encore aucun plan pour y parvenir, et ce moins de 24 heures avant le départ. Sur les conseils d’une amie rencontrée en Jordanie, nous passons un coup de fil à un certain Mohammed Achahri, guide de montagnes dans la Vallée des Bougmez. Après lui avoir brièvement présenté notre plan, il nous invite à sauter dans un bus en direction d’Azilal, où il nous attendra le lendemain à bord de son 4×4 pour nous mener dans les montagnes. Je ne voulais alors rien laisser paraître, mais j’étais folle d’inquiétude. Devions-nous faire confiance à cet homme ? Était-ce raisonnable de s’aventurer dans l’arrière-pays marocain avec un inconnu, sans signal de téléphonie mobile ou accès à Internet ? Allais-je réussir ce trek et me rendre au sommet du M’goun malgré les grandes chaleurs du mois d’août ? En étais-je capable ?
Je ne sais toujours pas pourquoi, mais j’ai accepté de prendre le risque, l’estomac pourtant noué par l’angoisse. Francis était fou de joie. L’aventure pouvait enfin commencer.
Après des heures à maudire l’état des routes et l’absence de suspension de l’autobus jaune, nous débarquons finalement à Azilal, une ville sans charme au pied des montagnes du Haut Atlas. Comme promis, Mohammed nous y attend. Il nous assure qu’il peut nous arranger un départ dès le lendemain matin selon nos désirs. Son sourire inspire la confiance. Rendus là, nous n’avons d’autre choix que de le suivre.
Le projet: une traversée du Haut Atlas
Le camion s’engage sur les routes sinueuses du Haut Atlas et nous n’avons toujours aucune idée de ce qui nous attend. Fort heureusement, l’inquiétude se dissipe dès notre arrivée. Mohammed possède un mignon petit gîte à Iskatafen, le Tigmi n’Ou Ayour, qui signifie la Maison de la lune. Bien que la vallée soit coupée de tout, elle respire le bonheur et l’abondance, entre les terrasses verdoyantes et les villages animés. Après nous avoir attribué une chambre, notre accompagnateur nous convie à un repas sur la terrasse, lors duquel nous discutons des détails du projet. Rapidement, il est convenu que nous partirons le lendemain matin avec son fils Yassine, qui nous servira de guide, et Hassan, un sympathique cuisinier-muletier, pour une traversée du Haut Atlas, en passant par le sommet du M’goun, qui culmine à plus de 4000 mètres d’altitude. Un trajet de près de 100 km à parcourir en 6 jours, le tout en autonomie. Mohammed tente de me rassurer en évoquant la possibilité d’éviter l’ascension du M’goun si la forme n’est pas au rendez-vous, en suivant plutôt Hassan pour contourner la montagne et plus tard retrouver Francis et Yassine…
Je n’ai pas dormi de la nuit.
La vallée des Aït Bougmez
Le matin venu, je suis toutefois fin prête à affronter une première journée de randonnée. Serait-ce finalement le «Pas capable» qui ferait place à son petit frère, «Essaye» ? Il est encore trop tôt pour le dire. Nous débutons le trek par une longue traversée des plaines suffocantes de la vallée, avant d’entamer la montée. La température est de 40°C, ressentie 45°C. Nous atteignons d’abord le village d’Arous en début d’après-midi, où nous avalons un copieux repas à l’ombre des arbres. Après une courte sieste, nous reprenons la marche jusqu’à notre premier campement perché à 2200 mètres d’altitude. Ces premiers 15 km sous une chaleur accablante ont raison de moi, alors que je tombe dans les bras de Morphée avant même d’avoir posé la tête sur mes vêtements sales qui me servent maintenant d’oreiller.
L’Ascension de l’Aghouri et le plateau de Tarkedit
Nous plions bagages tôt le matin afin d’attaquer l’ascension du sommet de l’Aghouri à 3400 mètres d’altitude. Avec cette chaleur et le 900 mètres de dénivelé positif, j’ai peine à avancer, mais heureusement le vent se rafraîchît alors que nous gagnons en altitude. Nous atteignons bientôt le plateau de Tarkedit, encore désert en ce début d’après-midi. J’en oublis rapidement les douleurs et la fatigue à la simple vue de ce paysage de haute montagne. Le plateau, tapissé de vert où se promènent librement moutons, chèvres et mules, est d’une beauté sauvage déconcertante. Je me sens toute petite sur cette plaine entourée des crêtes du Haut Atlas, mais pourtant ce décor m’inspire la force de poursuivre l’ascension jusqu’au sommet du M’goun. I’M IN que je leur dit !
Le M’goun en pleine tempête ?
En fin d’après-midi, nos mules et celles des autres groupes qui nous ont depuis rejoint sur le plateau se mettent à courir dans tous les sens. Hassan nous explique qu’une tempête se prépare : nous devons sécuriser les tentes et creuser des rigoles. À peine avons-nous eu le temps de s’y préparer que le violent orage éclate. Le ciel semble annoncer l’apocalypse, tandis que de puissantes rafales de vent s’abattent sur le campement. À plusieurs reprises, nous devons sortir de notre tanière pour tendre les cordes et se débarrasser des accumulations d’eau. Entre ces épisodes dignes de Survivor, nous discutons tout en buvant du thé dans la grande tente qui peine à nous garder au sec. Voyant que la tempête ne se calme pas, Hassan prend la décision d’annuler notre départ en pleine nuit vers le sommet. Selon lui, les fortes précipitations de pluie auront endommagé les sentiers, rendant périlleuse la descente déjà vertigineuse. Francis est déçu. Je suis déçue mais aussi soulagée… Et si je n’avais pas été capable ?
Être malade en randonnée, où la fois où j’ai perdu toute gêne envers Francis
Après une nuit complète à rester éveillés en raison des vents qui secouent sans cesse notre tente, nous reprenons la route vers Aflafal. Ce sera la journée la plus longue du trek : nous allons d’abord redescendre du plateau de Tarkedit pour plus tard remonter jusqu’au bivouac. C’est à ce moment précis que mon système immunitaire décide de me lâcher et que mon calvaire commence. Pour faire une histoire courte, disons que ces quelques 25 kilomètres de marche sous un soleil brûlant sont les plus pénibles de ma vie. J’en arrive même à penser que le ciel a voulu me punir d’avoir éprouvé du soulagement à l’annonce de l’annulation de notre plus haut sommet. Je regagne quand même ma tente dans les temps, quoique complètement déshydratée et habitée d’une forte fièvre. J’échoue alors toute habillée dans la rivière qui longe le campement, riant au désespoir en tentant de rétablir ma température corporelle. Ce soir-là, malgré toutes les calories dépensées, je n’arrive qu’à avaler un bout de tafarnout, le pain berbère, avant de tomber de fatigue, sous l’œil inquiet de mes coéquipiers.
La Vallée des Roses et les Gorges d’Achabou
Mais la maladie n’ayant pas sa place dans un trek, il me faut reprendre la route dès le petit matin, cette fois pour rejoindre Imi Nirkt en traversant la Vallée des Roses. Je survis à cette journée comme un zombie, ne gardant aucun souvenir particulier, sauf peut-être le soleil de plomb et ce sentiment de courage qui ne me quitte plus. Je continue ainsi à avancer, enchaînant les kilomètres les uns après les autres. La 5e journée, je me sens déjà beaucoup mieux. Heureusement, parce que c’est aujourd’hui que nous nous lançons à l’assaut des Gorges du M’goun, dites d’Achabou. Nous parcourons plusieurs kilomètres les deux pieds dans l’eau translucide de l’étroit canyon pour rejoindre notre dernier campement dans le village d’Aguerzaga.
Or, tandis que nous pataugeons joyeusement dans les eaux de la rivière, de violentes pluies s’abattent sur la cime des montagnes. À notre arrivée au campement, nous constatons avec effroi que l’eau de la rivière monte déjà et que d’épais nuages menacent toujours le ciel. Hassan semble même inquiet. Il ne m’en fallait pas plus pour m’en faire, sans trop savoir pourquoi exactement. Après tout, nous avions déjà survécu à une tempête à une altitude bien plus élevée… J’arrive finalement à oublier mes craintes en savourant mon premier vrai repas depuis Tarkedit : du poulet et des frites dénichés au village. Quel bonheur !
Au lever du jour, alors que j’enfile mes chaussures encore trempées de la vieille, j’ai pratiquement retrouvé toute ma forme (merci les frites!). D’un pas impatient, je gagne les bords de la rivière qui nous conduira à la civilisation. Je m’arrête net à la vue de ce qui, hier encore, était un petit cours d’eau translucide. La rivière étant sortie de son nid pendant la nuit en raison des orages en haute altitude, elle est maintenant d’une couleur et d’une odeur douteuse. Nous allons devoir marcher là-dedans pendant une dizaine de kilomètres, sans savoir où nous posons les pieds. Enfin, peut-être vaut-il mieux ne rien savoir du tout. Je chasse mes idées dégueulasses et je laisse enfin libre cours à ma petite voix qui me dit : allez, t’es capable !
J’ai donc marché dans ce que je crois aujourd’hui être un mélange de terre et d’excréments d’animaux dilués pendant plusieurs heures. À certains moments, l’eau montait pratiquement jusqu’à ma taille et le courant était si fort que je devais m’agripper à Francis ou à Yassine pour ne pas sombrer. J’en ai eu dans la bouche, dans le nez et dans les oreilles. Je vous laisse aussi imaginer l’état de mes chaussures, de mes vêtements et même de mes sous-vêtements après cette aventure. Mais en sortant de la rivière, une seule chose m’importait : j’ai réussi ce trek.
Pas capable yé mort au Maroc. Son p’tit frère s’appelle essaye.
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« On ne nait pas femme on le devient » je ne sais plus qui a dit ça mais sans doute est-ce aussi applicable aux aventurières car moi quand j’étais petite je grimpais sur 2 catalogues de vente par correspondance (15 bon cm de hauteur maximum) et avais l’impression d’avoir accomplie un exploit… aujourd’hui je prépare un roadtrip de 7 mois en Asie à vélo… même pas peur ! Bonne continuation en tout cas !
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Merci beaucoup pour cet écrit. Je me suis retrouvée totalement dans ton article! J’espère qu’un jour, je pourrai dire ‘je suis capable » aussi 😉
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Je ne sais pas au juste à quel moment Francis a enterré « chu pas capable » pour donner la place à « essaye » mais une chose est certaine, je comprend cette soif d’aventure qui vous permet de vivre des moments inoubliables et de découvrir cette belle nature sauvage. Merci encore de partager vos découvertes avec nous. C’est toujours un immense plaisir de lire le récit de vos périples et de voir tous ces beaux paysages grâce à la magie photographique.
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Pas capable yé mort…Francis lui a certainement donner une bonne poussée au bord du ravin, ne le cherche plus 😉 … j’attends encore qu’on me débarrasse de la peur d’avoir peur lololollll … Lâches pas té capable !!!
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Merci de partager vos péripéties et de me faire rêver
11 commentaires sur «Pas capable est mort»