Il était une fois une jeune femme insouciante qui, aveuglée par la beauté de la plage sur laquelle elle se prélassait depuis quelques heures au Salvador, décide de déménager à Nuremberg en Allemagne pour suivre son copain.
Sur le coup, le plan lui paraissait parfait : un emploi assuré pour le chum qui devenait expat, les weekends à voyager à travers l’Europe ou à grimper dans les Alpes et l’occasion de repartir à zéro à l’aube de la crise de la trentaine. Il lui suffisait, se disait-elle, d’apprendre une cinquième langue et de trouver du boulot pour survivre pendant deux ans. Yink ça. Du moins rien de bien sorcier pour une grande voyageuse n’ayant pas froid aux yeux. Or, c’était avant de savoir que pour apprivoiser la bête, elle allait devoir affronter les étapes du cycle de l’expatriation.
Le cycle de l’expatriation
Le cycle de l’expatriation est le concept décrivant les différentes étapes d’adaptation vécues par certains expatriés à l’étranger. Certains, dis-je, parce qu’il demeure inexistant ou presque pour quelques-uns, tandis qu’il peut frapper de plein fouet chez d’autres. Quelques expatriés le vivront en entier, d’autres en partie, alors qu’une poignée n’y verra que du feu. Personnellement, il m’aura fallu près de deux ans pour le reconnaître, ce fameux cycle. En tant que grande voyageuse, je me croyais à l’abri d’un choc culturel et des difficultés d’adaptation dans ce pays aux us et coutumes si proches des miens. Pourtant, l’Allemagne allait aussi me surprendre, me déstabiliser, m’énerver, me faire sourire et me faire pleurer. Yink ça.
1. La lune de miel
Au début, tout le monde était beau, tout le monde était fin. Chaque matin, équipée d’une carte, je partais explorer ma nouvelle ville. Je remisais celle-ci après quelques jours pour me fondre naturellement dans les dédales de Nuremberg. J’étais excitée de marcher sur un pavé plus âgé que celui du vieux Québec. Je m’extasiais à la vue de chaque vestige médiéval et je bavais devant les façades baroques. Je m’émerveillais devant les sommets enneigés des Alpes que je ne voulais plus quitter. Au restaurant, je commandais des saucisses, de la choucroute et une bière franconienne et j’aimais ça. C’était ma lune de miel avec l’Allemagne.
2. La crise
Puis vint la crise, aussi désignée comme étant le choc culturel ou le stress transculturel. C’est le moment où les expatriés éprouvent une forte envie de rentrer au bercail, loin des angoisses et de l’incompréhension.
Chez moi, elle s’est d’abord manifestée subtilement par de l’inconfort lié aux problèmes de communication. Ce ne sont pas tous les Allemands qui parlent anglais, et c’est pourquoi j’ai entrepris des cours de langue dès mon arrivée. Mais je devais entre-temps gérer -en allemand- la livraison des électroménagers, les rendez-vous chez le docteur, les requêtes des services d’immigration et la chasse à la cassonade, d’ailleurs toujours portée disparue. Plus d’une fois, il m’est arrivé de me faire raccrocher au nez alors que j’essayais désespérément de me faire comprendre d’abord dans un allemand approximatif, puis en anglais. Même chose dans les boutiques, où mes questions demeuraient sans réponses. On ne se comprenait pas, ni par la parole ni par les gestes. Ni même par la façon d’être. Je me sentais seule et isolée. À la limite, rejetée par mon pays d’accueil.
Je me suis alors mise à regretter (et idéaliser) mon Québec si souriant, chaleureux et aidant. À critiquer la rigidité et la froideur de mon pays d’accueil, les bas dans les sandales Birkenstock et les heures d’ouverture des magasins. Je comparais tout, tout le temps. Finies les balades interminables à travers la ville. Je préférais passer de longues heures sur Skype à reconnecter avec ma famille et mes amis. J’avais le mal du pays.
3. L’acclimatation
Mais parce qu’on ne peut pas toujours être fâché, la crise fait normalement place à une phase d’adaptation pendant laquelle l’expatrié tente de s’acclimater en s’appropriant les comportements du pays d’accueil. En somme, la réaction fait place à l’acclimatation.
Après avoir pleuré mon Québec et épuisé toutes mes larmes, j’ai tâché de m’approprier ces attitudes qui me faisaient réagir. Mais je vous rassure, toujours pas de chaussettes dans mes Birkenstock. J’ai plutôt cessé de sourire à tous les étrangers sur la rue. Je ne tentais plus d’engager la conversation avec des inconnus à la buanderie. Je me suis mise à dire Grüß Gott (littéralement Dieu vous salue) dès que je mettais les pieds dans la salle d’attente chez le doc. À trier consciencieusement les déchets dans mes 5 poubelles différentes. J’ai regardé un épisode entier de Tatort sans rien comprendre de cette série qui tourne depuis 1970 et j’ai lavé mes vêtements à l’eau très chaude, juste pour faire comme eux. J’ai même repris mon apprentissage de la conduite manuelle pour m’aventurer sur l’Autobahn. Ce n’est pas rien pour une fille qui a horreur de la vitesse.
En marge de ce changement d’attitude, je me suis aussi lancée tête baissée dans divers projets créatifs, dont le blogue et plus tard #allinde, histoire de construire un lien affectif solide entre l’Allemagne et moi. Ceux-ci m’ont poussé à quitter ma tanière de Bavière pour découvrir le Bade-Wurtemberg, la Saxe et Berlin. J’observais, je photographiais et je mettais des mots sur la bête pour mieux l’apprivoiser. Puis, sans m’en rendre compte, je me suis mise à prononcer Shhhhtreet en anglais, Wikipédia est devenu Vikipedia et je respectais à la lettre les signaux de circulation pour piétons. Je flattais la bête dans le sens du poil. J’y étais presque.
4. L’intégration
Logiquement, une phase d’intégration suit la phase d’adaptation. Celle-ci marque le moment où l’expatrié arrive enfin à s’épanouir dans son nouvel environnement et qu’il le maîtrise. Il est désormais adapté aux traditions de son pays d’accueil et y nage comme un poisson dans l’eau.
Ma courbe d’adaptation n’étant pas aussi claire et directe que les schémas traditionnels, je passe personnellement de la phase d’acclimatation à la phase de crise sans jamais pouvoir atteindre l’étape ultime de l’intégration réussie. Une boucle éternelle, des montagnes russes, mais pas de courbe en U. J’approche la bête d’un peu trop près, elle me mord, je sacre et je recommence. Parce que la bête, aussi farouche semble-t-elle, me plaît. Elle me plaît tellement que j’ai décidé de rester auprès d’elle pour une autre année, pendant laquelle j’aurai amplement le temps de l’apprivoiser. Je l’espère.
Vous voulez savoir comment réussir votre expatriation ?
Je vous conseille d’aller voir ailleurs. Du moins, pour le moment 🙂
- Fabrice du blogue Instinct Voyageur vous donne des trucs pour gérer le choc culturel pendant une expatriation et Benoit du blogue Novo-monde signe un article invité sur comment réussir son expatriation.
Vous avez d’autres trucs ? N’hésitez pas à les partager dans les commentaires !
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Hahahahahah très intéressant!!!!
Comment je peux trouver « cette bête » en Allemagne?? -
Archi fan de ton choix de photos pour les différentes phases de l’expatriation 🙂 Je suis comme toi, j’ai fait le yoyo entre la phase 2 et 3 pendant longtemps. Le vrai déclic de la phase 4 est (de mon point de vue) l’apprentissage puis maîtrise de la langue. Bref, bon courage !
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Voilà un bel article qui montre que tout est possible…même en Allemagne et avec la langue allemande ! Tu as été très courageuse de passer toutes ces étapes et je t’en félicite ! J’approuve à 100% le fait de visiter aussi un peu plus le pays, de découvrir ses régions différentes…je sais que personnellement c’est aussi dans ces moments là que je me dis que j’aime beaucoup l’Allemagne, car je trouve que c’est un très beau pays. Je dis toujours à mon copain « si tu me trouves une de ces petites maisons traditionnelles à colombages, je veux bien rester là toute ma vie avec toi…! ».
Bref, bien sûr aussi l’apprentissage de l’allemand change les choses, et je trouve ça super que tu t’y sois accrochée !
Bonne continuation à toi !
Viele Grüße,
Laure -
Félicitation pour cette décision, tu vas pouvoir la caresser la bête Jess. Aucune bête n’est pas apprivoisable, certaines sont juste plus têtues que d’autres ;).
Pendant ce temps, je vais faire la même expérience au Brésil.
Courage !!
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C’est toujours un tel plaisir de te lire et ainsi peu à peu d’apprendre et de mieux comprendre votre vécu, en tout cas le tien. Votre décision étant prise de rester une année encore,vous êtes surement libérés de cette tension que vous avez dû vivre avant de décider. Je suis contente pour vous mais j’ai quand même hâte de vous revoir et de vous serrer dans mes bras. À bientôt les amoureux. xx
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Jolies description de cette difficile acclimatation!
Mais puisque tu restes plus longtemps, ça te dirait de nous rejoindre pour Francophonies?
Il est possible qu’on devienne bi-mensuel et on ne serait pas contre le retour de notre québécoise préférée à l’occasion! 😉
9 commentaires sur «Apprivoiser la bête : l’Allemagne»