Étape 6 du GR20 entre Capannelle et Vizzavona
Ce billet est le récit de nos aventures du 10 juin 2015 sur le GR20 entre Capannelle et Vizzavona, jour du terrible accident de montagne ayant coûté la vie à 7 randonneurs dans le cirque de la solitude.
Il est la suite de GR20 : du col de Verde à Capannelle.
6h00 AM et le réveil sonne. J’empoigne tout mon barda avant de sortir discrètement du dortoir pour ne pas réveiller le reste de la troupe. Francis m’y rejoint, l’air reposé : « Ah, j’ai bien dormi ! C’est cool, personne n’a ronflé (…) ! ». Contente pour toi. Rectifions juste un truc : c’est toi qui ronflais. Et c’est nous qui avons mal dormi. Mais merci pour la symphonie, chéri !
C’est donc à même le couloir du Gîte U Fugone que nous nous préparons à attaquer cette sixième journée sur le GR20. Moi qui est pudique, j’ai adopté un bon système pour éviter de m’exhiber : je dors avec les vêtements prévus pour le lendemain, communément appelés mes «vêtements de jour». Peut-être ne sont-ils pas toujours très propres, me direz-vous. À cela je répondrai que je fais ce que je peux avec la lessive et qu’après 6 jours de crasse, je m’en fou !
La vie en communauté sur le GR, ou pourquoi nous préférons la tente au refuge
Dans tous nos efforts pour boucler les sacs en silence, nous sommes sidérés d’entendre les membres d’un groupe organisé gueuler dans la salle de bain, sans considération pour les randonneurs toujours au lit. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles nous préférons la tente aux refuges. À chaque étape, nous avons entendu de tristes histoires : des punaises dans les matelas, des ronflements si forts qu’il était impossible de fermer l’oeil même avec des bouchons, des marcheurs qui partent au beau milieu de la nuit sans faire attention au bruit. Vraiment, le GR20 est victime de son succès et la vie en refuge ou sur les aires de bivouac est loin de l’idée qu’on se fait du paradis perdu. Dommage que le camping sauvage soit interdit. Quoiqu’avec tous les drôles de moineaux et tous les déchets rencontrés sur le sentier, je peux comprendre la réticence des Corses.

Petit-déjeuner sur la terrasse du Gîte U Fugone
Depuis notre table à pique-nique avec vue sur le brouillard, nous évaluons la journée. Nous devrons marcher une quinzaine de kilomètres pour rejoindre Vizzavona, le village marquant la limite entre le GR20 Sud et le GR20 Nord. Selon les données topographiques, cette étape se fera sans escalade, sauts en longueur ou traverses de torrent. Un vrai jeu d’enfant. Mais le GR20 étant ce qu’il est, nous devons aussi prévoir de forts vents, des grêlons et des orages violents malgré les rayons du soleil qui se pointent à l’horizon. Sans oublier mes foutus genoux qui, malgré mes prières de la veille, ne se sont pas régénérés pendant mon sommeil. Leur volume est moindre, mais une douleur diffuse est venue me faire un coucou pendant la nuit. Je décide quand même qu’une petite marche d’à peine 5 heures ne leur fera pas de mal. J’aviserai à Vizzavona.
Étape 6 : Capannelle – Vizzavona
Durée : 4h30
Distance : 15,13 km
Dénivelé positif : 230 mètres
Dénivelé négatif : 900 mètres
Départ de Capannelle
Le sentier nous mène rapidement sur une route en travaux, où nous cherchons le balisage pendant une bonne quinzaine de minutes avant qu’un travailleur nous indique la bonne direction. Dans l’excitation, nous avons descendu la route sur plusieurs mètres qu’il faut à présent remonter, jusqu’à ce qu’on retrouve l’affiche avec le balisage face contre terre. J’imagine qu’on ne sera pas les seuls à s’égarer ici aujourd’hui !

Vue depuis Capanelle sur le Monte Renoso
La vue sur le Monte Renoso, troisième plus haut sommet de Corse, est tout simplement magnifique. On en oublie presque la monotonie du sentier qui traverse une forêt de hêtres avant d’atteindre les bergeries de Scarpaccedie puis, finalement, le col de Palmente à 1640 mètres d’altitude. Il n’est même pas midi et le ciel commence à se couvrir. Des nuages menaçants s’agglutinent autour du sommet du Monte d’Oro. Sans plus attendre, nous quittons la crête pour amorcer l’interminable descente jusqu’à Vizzavona, au rythme du tonnerre qui résonne là-haut.
Chaque pas est un supplice, mais je m’efforce de garder le rythme pour échapper à l’orage qui se prépare. Une descente sur un terrain trempé serait d’autant plus dangereuse avec des genoux aussi faibles. 720 mètres de dénivelé plus bas et maintes grimaces, nous atteignons finalement le village de Vizzavona. Grosse déception toutefois, alors que nous traversons le «village» : il n’y a rien. Que des maisons désertes et des hôtels. Des quelques voitures qui croiseront notre route, toutes semblent appartenir à des touristes. Mais où est cette épicerie mentionnée dans le topo-guide ? N’y a-t-il pas un semblant de pharmacie pour les randonneurs blessés ?

La vue sur le GR20 Nord juste avant la descente vers Vizzavona
La croisée des chemins à Vizzavona
L’ensemble des ressources est concentré autour de la gare : une épicerie minuscule, un restaurant, un camping et un hôtel. Francis, mes genoux désormais aussi gros que la veille et moi décidons de nous attabler au restaurant de la gare le temps d’y voir clair. Il n’en fallait pas plus pour que les éclairs se mettent de la partie. Et c’est reparti pour une autre tempête, nous laissant ainsi tout le loisir de réfléchir à la suite des choses !
Avant d’entamer cette aventure le 5 juin 2015, j’avais lu sur le web que «le GR20, c’était dans la tête». En bonne tête de cochon, j’avais dès lors décidé de réussir cet exploit sportif, coûte que coûte. Une sorte de pacte signé avec moi-même après une année difficile pour l’estime de soi au niveau professionnel. Or, ce tête-à-tête dans les montagnes de l’Île de la Beauté ne se passait pas comme prévu. La force mentale était là, la forme physique tout autant. Je n’ai omis qu’un léger détail : ma réalité. Ces petits problèmes aux genoux, que je m’efforce d’ignorer depuis tant d’années, font partie de moi. Une maladie dégénérative qui me suivra à jamais, que je le veuille ou non.
Cette rencontre avec moi-même devra donc se poursuivre ailleurs le temps de lécher mes plaies. Un endroit avec un médecin et une pharmacie, qui plus est. Le GR20 Nord, lui, m’attendra. Quelques heures, quelques jours ou même quelques années s’il le faut. Pour le moment, nous sautons dans un train à destination d’Ajaccio. Pour le reste, nous verrons.
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Une première Pietra à Ajaccio
Nous avons quitté le GR20 vers 15h00 le 10 juin 2015 sans savoir qu’un grave accident allait se produire quelques minutes plus tard, fauchant la vie de 7 randonneurs dans le cirque de la solitude. Nous avons appris la triste nouvelle à la lecture du journal local le lendemain matin. En raison des évènements et du chaos régnant dans les montagnes, nous avons décidé de ne pas retourner sur le GR20 dans les prochains jours et de reporter l’aventure à une année ultérieure.
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[…] Lire la suite : Vizzavona. […]
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Bonjour, je viens de lire vos aventures en Corse. J’aime la fraîcheur de votre propos. Étant sur un lit d’hôpital après m’être fait curer un tendon d’Achille, vos billets et vos commentaires m’ont permis de voyager et de me remémorer de magnifiques souvenirs. A chacun son Everest. Vous aurez sûrement l’occasion d’y retourner. Merci et bonnes chances.
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[…] Nous marchons d’un bon pas, la garnotte parfaitement étalée aidant. Pour une fois, j’ai les yeux rivés sur le paysage à défaut de devoir surveiller le terrain. Et quel paysage ! Un plateau rocailleux où s’élèvent quelques mastodontes rocheux, dont le Rondeslottet, le plus haut sommet de Rondane avec ses 2178 mètres d’altitude. J’aperçois bientôt les nuances sombres du lac Rondvatnet et les maisonnettes rouges du gîte de Rondassbu, point de départ de nombreuses randonnées vers les plus hautes cimes du parc. De là, il faut mettre 5 heures pour faire le Storronden ou 6 heures pour gravir le Vinjeronden et le Rondeslottet. Je dévorerai mon sandwich en rêvant à tous ces sentiers que je n’emprunterai pas aujourd’hui, faute d’avoir de nouveaux genoux. […]
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Salut Jessica,
Nous avons dialogué sur Twitter avant ton départ et je viens seulement de lire ton compte rendu.
Je suis déçu pour toi que tu n’aies pas pu accomplir l’entièreté du parcours. J’espère que ça sera pour une autre fois.
Concernant les déchets sur le parcours, je n’ai pas vraiment eu la même impression que toi. J’ai trouvé justement qu’il faisait vraiment propre sur l’ensemble du parcours…A part, c’est vrai, l’un ou l’autre « cadeau » à proximité du sentier.PS : Nous avons vraiment failli nous croiser car je suis arrivé du Nord à Vizzavona le mercredi 10/06 vers 15H.
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Salut Jess, retour de vacances, je viens de me mettre à jour en lisant tes 4 derniers billets. Hummm, c’est pas évident des problèmes de genoux, j’ai un problème similaire au tien, tu as bien fait de reporter cette aventure à une autre année. Tu as quand même très bien réussie et je vais m’ennuyer de lire tes histoires vécues, bravo!…Dans mon cas, mon problème de genou est arrivé en escaladant le Mont Chic Choc, (rien à voir avec le GR20 lol, mes genoux n’ont pas aimé la descente, j’ai souffert le martyre et depuis ce temps, j’ai une faiblesse et je dois faire attention…Eh bien ma belle, à la prochaine xxx 🙂 Donnes-moi des nouvelles!
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Six jours dans les montagnes Corse…Bravo !!! Tes genoux t’ont joué un tour…un sacré de bon tour, ils t’ont fait redescendre avant la tempête, ne leur en veut pas trop. Comment se comportent-ils depuis le retour ? …J’ai une connaissance en Corse qui se plaint des déchets laissés par les touristes sur les plages, je ne pensais pas que les touristes de la nature en faisaient autant, c’est triste.
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ouais!!! ma belle Jessica ton corps te parle et tant mieux pour cette fois-ci, ce sera peut-être une partie remise ou bien la vie vous amènera ailleurs pour vivre d’autres merveilleuses aventures.
13 commentaires sur «GR20 : Fin à Vizzavona»